Espagne – Catalogne ?
2 mars, 21h… nous touchons le sol européen… in – croyable ! Outre les retrouvailles avec notre vieux continent, ce sont surtout les grandes retrouvailles avec les parents de Virginie. Personne ne parvient à réaliser ce que nous vivons. Les deux années qui nous séparaient paraissent s’envoler, c’est comme si nous ne nous étions jamais quitté !
Tous les bagages ont suivi, mais nous découvrirons que la remorque a morflé : roulette tordue et coque impactée. Oh les sagouins. On charge le berlingot (on apprécie de ne pas devoir, pour une fois, remonter le tandem dans l’aéroport, surtout à 21h après 40 heures de voyages.) C’est parti pour un week-end à Barcelone dont le mot d’ordre sera : plaisir ! Confort d’un airbnb, restau, discussions et visite sous un soleil méditerranéen : Las Ramblas, la vieille ville, le port, l’improbable Sagrada Família (célèbre basilique dont la construction a commencé en 1882. Œuvre inachevée de l’architecte Antoni Gaudi, il a conçu une minutieuse symbologie qui fait de cet édifice un « poème mystique ».)
Petit cours d’histoire géo :
Barcelone c’est la deuxième ville d’Espagne (en termes de population, d’économie et d’activités). Située sur la méditerranée, elle est bordée à l’ouest par la serra de Collserola (chaîne de montagne). Son importance dans les domaines de la finance, du commerce international, de l’édition, des arts, du divertissement et des médias, en font une ville mondiale.
Quel bonheur de retrouver l’architecture européenne : ancienne, diversifiée, typique… moi qui n’est jamais été attirée par cette discipline, j’en viens à me dire que je ne pourrais habiter en Australie (dans un pays jeune) rien que pour l’Architecture. Mes yeux se régalent. Nous sommes heureux de réentendre des langues latines et de se remettre à l’espagnol, même si nous sommes ébahis du nombre de français. Nous nous sentirions presque chez nous. Célia, la frangine, nous fera la surprise de débarquer le lendemain de notre arrivée. Un A/R express de 24h pour immortaliser ces retrouvailles.
Lundi 5 mars… la bulle éclate, la fête est finie, cette parenthèse n’était qu’un avant goût de ce qu’il nous attend. On croyait quoi ? La vraie arrivée, ce sera le 1er avril, à Arvert. Pour atteindre la terre natale de Benoît, il nous faut remonter en selles, et parcourir nos derniers 1000 kilomètres ! Rien que ça… bizarrement je repartirai avec une sorte de mini gastro sûrement plus psychologique que virale…
Si la neige nous a épargné, la pluie nous accueille dès nos premiers tours de pédale. Nous zigzaguons tant bien que mal à la recherche des pistes cyclables et autres petites routes, pour éviter la nationale de bord de côte. La petite étape initialement prévue se transforme en moyenne-grosse étape (comme souvent). Nous traverserons une zone agricole bien cachée et rencontrerons sur la piste des ouvriers africains à vélo. Nous parlons peut-être la même langue, mais c’est à coup de « hola », de sourire, et de main agitée que nous nous saluons, mutuellement surpris et amusés de nous croiser à deux roues ici. Nous nous croyons dans un documentaire Arte qui enquête dans la région d’Alméria…
Le soir, à cause d’une mauvaise organisation de notre part, nous échouerons notre tente dans une friche derrière le super marché Dia de Canet de Mar… Si à la question « avez-vous eu peur pendant le voyage ? » nous répondions un jour plus tôt « non », pour la première fois il nous faudra attendre accroupi un petit moment avant de déplacer notre bardas et pouvoir monter la tente un peu plus sereinement. Cette friche est le point de rendez-vous d’hommes qui ne cessent de faire des va et-vient en voiture et de s’enfoncer à pied dans les bosquets. Nous n’en saurons pas plus, et tant mieux. Personne ne nous verra, et nous passerons une « bonne » nuit.
Nous longeons la côte de la province de Gérone et sommes plutôt agréablement surpris par cette partie de la Costa Brava. A Lloret de Mar, grosse station touristique, nous préférons la jolie Tossa de Mar. Après une bonne douche chaude gratuite dans la piscine municipale, nous planterons la tente sous la pinède. Un bivouac comme on les rêve. Nous serons surpris en pleine nuit par un gros orage qui raisonne sur les falaises… « En plein mois de mars ? Alors qu’on se les caille ? C’est quoi ce pays ? » « As-tu déjà entendue une pluie si lourde ? » Au réveil, quelle n’est pas trop surprise de découvrir que la grêle nous est tombée sur la tête ! De beaux petits grêlons décorent le pourtour de notre tente… alors celle-là on nous l’avait jamais faite encore ! Malgré le froid saisissant, c’est splendide, et nous sortons sourire aux lèvres, amusés par ce tapis blanc.
Les montagnes russes qui nous séparent de Palafrugell sera pour moi l’une des plus belles routes du voyage. La côte rocheuse, les villages perchés, la couleur de l’eau, et ce soleil qui nous réchauffe, nous fait avaler les côtes avec le sourire. La circulation se fait rare, et les cyclistes de route sont de sortis. Après deux ans de voyage, le mental n’est plus assez fort (paradoxalement ?) pour pique niquer dehors par 10°C, et nous nous réfugierons dans de petits restau le midi, profitant des prix espagnols. Je pédale la plupart du temps en doudoune, bonnet, gant… et le besoin de se réchauffer se fait pressant.
Nous passons la nuit chez nos premiers wamrshower : Alba et Biel. Très belle rencontre, qui nous permettra de mieux comprendre la problématique catalane ! Et oui, il n’y a pas de doute, plus qu’en Espagne, c’est bien en territoire catalan que nous avons atterri. Dès Barcelone les drapeaux et autres messages politiques étaient fièrement affichés un peu partout, et annonçaient la couleur. Ici, on ne parle pas le castillan mais le catalan, mais comme ils sont forts sympathiques, personne ne nous le reprochera. Nous avons suivi « de loin » les tristes événements qui ont secoués la Catalogne à l’automne dernier et étions avides de découvrir et comprendre la réalité locale.
Catalunya :
La Catalogne est une région historique d’Espagne, régie par un statut d’autonomie dont le premier date de fort longtemps (bientôt une centaine d’année), et le dernier de 2006. Cette région représente 6 % de la superficie du pays et 17 % de la population. La crise économique et du logement des années 2000 et 2010, ainsi que la décision de Madrid d’invalider plusieurs dispositions du statut d’autonomie, entraînèrent d’importantes tensions sociales et politiques. Cela aboutit à la montée du mouvement des Indignés et de l’indépendantisme catalan. Dès 2015 une déclaration sur le lancement du processus d’indépendance est adoptée par le parlement catalan. Un référendum pour l’indépendance fut organisé le 1er octobre dernier, dans un contexte de vives tensions avec l’État espagnol, qui déclara cette consultation illégale. Le parquet ordonna aux forces de police d’empêcher sa tenue. Malgré l’interdiction, des milliers de Catalans se sont massés dans les bureaux de vote pour participer, entraînant des heurts avec la police. Bien qu’étant soutenu par l’essentiel de ses homologues européens, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy sera vivement critiqué dans la presse internationale pour l’ampleur de la répression… Encore une fois la violence policière commandée par l’Etat montre que cette stratégie ne peut aller qu’en sa défaveur. Car cette répression, dont beaucoup semblent encore traumatisés aujourd’hui, a provoqué un malaise en Europe. Aux yeux de beaucoup, la réaction de Madrid a légitimé la revendication indépendantiste et affaibli la position du gouvernement. Nous serons choqués du témoignage d’Abel et Biel, dans un pays qui se dit démocratique, dans une Europe des droits de l’homme, dans une région frontalière à la France… Tout peuple désirant sa liberté n’aurait-il pas le droit de la demander démocratiquement et pacifiquement ? Le « oui » à l’indépendance l’aurait emporté à 90% (pour un taux de participation de 42,3%.). Nous apprendrons que beaucoup d’espagnol sont venus s’installer dans la région ces dernières décennies. Le 27 octobre 2017, la Catalogne engage alors un « processus constituant » pour se séparer du pays, tandis que le Sénat espagnol autorise quant à lui la mise sous tutelle de la région.
Les raisons de cette évolution sont multiples, elles tiennent pour beaucoup au fossé qui n’a cessé de se creuser avec le reste de l’Espagne, au point de conduire une partie de la population espagnole à développer une réelle hostilité à l’égard des catalans. Perçus comme arrogants, leur particularisme linguistique est de plus en plus difficilement accepté. De leur côté, les Catalans ont le sentiment d’être méprisés et s’estiment abandonnés par l’Etat. Au-delà des facteurs émotionnels, culturels ou linguistiques, c’est la question des chemins divergents empruntés en matière de choix économiques par Madrid et Barcelone qui est au cœur du conflit. Aujourd’hui c’est statut co. Ici on parlerait presque d’occupation… Les catalans, choqués, secoués, émus par la condition de leur prisonnier politique, orphelin de leur président, souhaitent toujours l’indépendance mais semblent perdus. Amers, jamais ils n’auraient imaginé l’ampleur de la réaction de Madrid.
Nous repartons avec plus de sympathie encore pour ces voisins européens. Nous suivons une partie de la Pirinexus, la route cyclotouriste catalane, qui rejoint la Catalogne espagnole à notre Catalogne française. Nous finirons par nous en détourner pour prendre le tout petit col de bord de mer dels Belitres (col des Balistres). Nous traversons villages et champs arboricoles. Nos cœurs battent la chamade à réentendre le chant des mésanges. Nous saluons avec émotions nos premières cigognes. Et nous exclamons devant un écureuil audacieux qui failli passer sous nos roues. C’est magique de retrouver la flore et la faune de « chez nous ». J’attends avec impatience le chant du merle. Nous serons surpris par le nombre de bâtisse abandonnée, la quantité de vieilles pierres, les églises et autres châteaux historiques. C’est excitant d’être dans un pays vieux, chargé d’histoire.
A Roses nous passerons la nuit chez notre 2ème warmshower. Carmen, la cinquantaine, médecin, est cyclovoyageuse expérimentée depuis quelques années. Elle nous tiendra le même discours que les premiers sur le contexte politique. Quelle chance d’avoir pu dormir chez eux. Warmshower est décidément le meilleur moyen en occident pour rencontrer les locaux : avoir le temps et la langue pour échanger, comprendre, s’informer. Sans ce réseau nous serions passés à côté. En journée l’accueil des catalans était chaleureux, et un vieux monsieur viendra même nous aider à réparer notre crevaison… mais les échanges se veulent trop courts, et très pratico-pratique, pour se familiariser réellement avec la vie locale.
Vendredi 9 mars… 12h… Après deux ans de voyage en Europe, Eurasie et Océanie, nous voilà aux portes de la France. Nous sommes à Portbou. Cette ville semble avoir perdu sa splendeur d’antan et c’est plutôt tristounet à voir, même si ça lui donne un certain charme. La frontière sous les yeux, nous sommes incapable d’appuyer sur les pédales. Chafouins, indécis… Non, nous ne sommes pas prêts, c’est trop tôt ! Nous sommes tendus, agacés, confus. Qu’à cela ne tienne, le voyage c’est l’aventure, nous décidons donc de poser nos sacoches chez Carla, et reportons la traversée à demain. C’est bien connu, la nuit porte conseil. Carla, nous l’avons rencontré sur la plage, grâce à Isabelle, une française de passage à Portbou. Curieuse, chaleureuse, intriguée par notre monture, elle nous accoste, et après quelques minutes, nous recommande d’attendre ici Carla. Nageuse arrivant du large, Carla rêve d’un tour du monde à vélo : coïncidence ? Quelques échanges plus tard, nous voilà dans son appartement à boire du thé et à refaire le monde. Finalement, nous y resterons la soirée et la nuit. Une merveilleuse étape, qui restera longtemps gravée dans nos cœurs. Qui a dit que le voyage était fini ? A quelques centaines de kms de l’arrivée, la magie continue d’opérer… nous voilà rassurer. Cette nouvelle rencontre hors du temps, à l’image de notre voyage, nous donnera l’envie de continuer. 24 heures plus tard, c’est tout excité que nous franchirons la 19ième et ultime frontière. Carla nous escortera même jusqu’aux pointillés.
Ce col routier transfrontalier relie Portbou à Cerbère. Il a été l’un des principaux lieux de l’exode des républicains espagnols après la victoire des troupes franquistes en 1939. Près de 100 000 personnes ont passé ce col pour se réfugier en France et dans les pays latino-américains. Un mémorial leur rend hommage. 165 mètres d’altitude… autant dire que des cols comme celui-là, c’est quand vous voulez ! La montée se fait rapidement… « Francia 1km… » nous attendons avec émotions le fameux panneau… l’ultime… la dernière photo frontalière… Mais arrivés au « sommet »… le panneau semble avoir été dérobé ! Bienvenue en France !
J’ai eu la chance de croiser ces deux graines juste à temps et juste avant la frontière. Une question en anglais et on a lié comme si on s’était toujours connus…
J’ai passé le relais de cette si jeune amitié à mon amie qui a relevé ce défi avec la création d’une autre amitié, plus profonde encore.
J’ai arrêté de lire quand j’ai vu la photo et un petit bout de moi, tout léger et tout Amour flotte comme un drapeau léger sur le tandem.
Je vous aime…
Chère Isabelle
Comment vas-tu ? Et tes tendinites ?
C’est nous qui avons eu la chance de te rencontrer juste à temps ! Toi et Carla avez changé notre retour de voyage et passage oh combien important de notre frontière ! Et jamais ne nous l’oublierons… On croyait le voyage terminé et vous nous avez montré qu’il ne faisait que continuer comme il a commencé. Merci, merci, merci…
On t’embrasse très fort
Eh oui panneau dérobé….. dur retour à la réalité…… c’est la France Lol
Merci pour tous vos récits.
J-B et Catherine.
C’est quand même pas de chance et malheureusement à l’image de notre pays où décidément tout se vole lol !
Avec plaisir pour les récits, merci de continuer à nous lire même après le retour 😉