Arrivés à Alytus, une ville suréquipée en infrastructures sportives, nous partons en quête de la piscine pour une douche bien chaude, mais celle-ci ne semble plus exister. Par chance, les sympathiques dames du gymnase nous ouvre tout spécialement un vestiaire. Le lieu est survolté car l’équipe nationale de basket-ball (le sport national) joue contre l’Irlande avant le début des JO. La douche sera froide mais le moment « rigolo ». Nous regrettons juste que notre bonne fée se soit fait copieusement engueulée après notre passage. Heureusement les lituaniennes ne se laissent pas faire. Nous craquons pour des burgers végétariens à 1,5 euros – ça fait combien en Złoty ? – après 15 jours en Pologne nous en perdons notre monnaie. En route, Benoît sème ses chaussettes qui séchaient sur le vélo, en les retrouvant, elles nous valent une incroyable rencontre : Valentina est professeur de français retraitée, elle nous accoste et en moins de deux nous trouve un hébergement chez l’un de ses élèves, à 5min à pied. Nous passerons une délicieuse soirée chez Vitas et Ramute, qui nous accueillent chaleureusement chez eux, et qui seront aux petits soins pour nous jusqu’à notre départ le lendemain après-midi. Cette première étape sera à l’image de nos 16 merveilleux jours en Lituanie : magiques !
A l’époque de l’Union Soviétique, les lituaniens pouvaient choisir le français à l’école, et nombre de personne de la génération de Valentina et Vitas le parlent, ce qui nous permet dès le premier soir de plonger dans l’Histoire passionnante de ce petit pays. A la question « alors, c’était mieux avant ou maintenant ? » Valentina sera partagée. Depuis la chute du bloc nombre d’entreprise ont mis la clé sous la porte et le chômage fait rage. Les jeunes partent à l’étranger (Angleterre) et 1/4 des lituaniens vivent en dehors du pays. Le passage à l’euro a fait du mal ici aussi et le pouvoir d’achat a baissé et les loyers sont devenus horriblement chers. Pour Vitas par contre c’est que du bonheur. Chef d’entreprise, il a pu acquérir un terrain et se construire une très belle maison. Ils partent tous les ans en vacances à l’étranger. Patriote, il ne peut que se réjouir que la Lituanie ait retrouvé son indépendance. Nous en apprendrons beaucoup sur le passé méconnu de ce tout jeune pays (dans sa forme actuelle) et ressortirons le sang glacé du « Museum of Genocide Victims » de Vilnius. Musé sur les répressions des régimes d’occupation (Nazi et Soviétique) pratiquées contre les Lituaniens entre 1940 et 1990 … la visite se termine par la prison, la partie la plus importante, avec la salle de torture puis celle d’exécution… Comme la Pologne, qui, en l’absence de frontières naturelles s’est faite envahir et colonisée à plusieurs reprises, les pays baltes sont une « zone grise », sans cesse ballotée de l’Ouest à l’Est ou inversement, au gré de la géopolitique. Si pour nous la guerre s’est arrêtée en 1945 pour eux l’occupation et les horreurs associées ont continué pendant près de 45 ans. On l’a appris à l’école mais nous ne le réalisons que sur place. Malgré tout ils ont su conserver leur tradition, à leur risque et péril, et aujourd’hui la culture et le folklore sont très présents. Nous palpons aussi le contexte actuel local, quelque peu tendu entre d’une part l’agressivité des Russes depuis l’invasion de la Crimée et d’autre part l’agressivité de l’Otan qui vient de déployer 4 000 soldats en Pologne et dans les pays baltes. La vision ne semble pas si manichéenne, et nous serions aveuglés par notre propre camps qui tient à tout pris à désigner les russes comme les vilains. 26 ans seulement après la disparition de l’URSS et la fin de la Guerre froide nous avons le sentiment que l’étincelle n’est pas loin. A tel point que le pays a réinstauré le service militaire obligatoire.
Belle Lituanie : lacs/étangs innombrables, belles forêts mixtes, collines champêtres, architecture traditionnelle conservée, leurs petites maisons de bois sont très mignonnes, nous retrouvons un peu de la coquetterie de la Hollande. Les cigognes et leurs petits qui grandissent à vue d’oeil nous accompagnent toujours. Les pommes sont enfin mûres pour le plus grand plaisir de Benoît. Nous continuons nos cueillettes sauvages pour agrémenter nos repas. C’est la saison des champignons et les lituaniens en sont friands, ça tombe bien nous aussi. Les Pancakes aussi surprenant que ça puisse être sont l’une de leurs spécialités, ce qui me réjouit. Les oreilles de cochon aussi, ce qui laissera Benoît perplexe. Quant au lait, il est possible de l’acheter directement au producteur (pour ne pas dire au pi de la vache) si vous pédalez à l’heure de la traite. Chaque maison semble avoir sa vache. Christianisés au 13ème siècle, l’animisme est encore bien présent. Malgré tout leurs églises sont impressionnantes et complètement démesurées par rapport aux tailles des villages ou des villes. A Vilnius on en dénombrerait une centaine. Elles sont très jolies, tout comme leur cimetière et leurs visites sont devenus un passe temps. Fan de constructions bois, ils sont agrémentés de magnifiques stèles sculptées. Nous avons trouvé les lituaniens très chaleureux (paraît-il que ce n’est que le début et que les russes le sont encore plus), très accessibles, aimables, et simples. Partout où nous les avons sollicité nous avons trouvé sourire, entre aide, et échanges. Il est possible de planter la tente n’importe où, à tel point qu’à Širvintos nous l’avons planté en plein cœur de la ville, au bord de leur lac aménagé. La plupart des jeunes parlent anglais. Les offices de Tourisme sont très serviables (cartes gratuites, wifi, toilettes).
Côté vélo il n’y a quasiment pas de pistes cyclables (quelques-unes à l’approche de villes ou de zones touristiques) et ils roulent comme des malades, mais en prenant les axes secondaires voir tertiaires ça pédale bien. La plupart des routes sont goudronnées, mais nous nous sommes quand même mangés de la poussière. Nous traînons toujours notre mystérieux grincement au grand désespoir de nos oreilles. L’entrée à Vilnius restera dans les annales : Tomas est venu à notre rencontre et nous escorte en moto. La classe ! Selon lui, l’autoroute est la seule voie d’entrée en ville. Ah… bon, il paraît qu’il n’y en a pas pour long, alors va pour l’autoroute ! Nous nous engageons et Tomas nous fait garde du corps. Jusque là nous faisons nos malins mais déchantons vite : une descente d’autoroute plus tard, nous atteignons 60kms/h, et loupons la sortie qu’il nous indique à la dernière minute… nous avons une pensée pour nos mamans… heureusement nous le rejoignons facilement et nous voilà hors de danger… mais quelques kms plus tard, rebelote, nous nous réengageons sur la voie rapide… Tomas nous largue sur la 2×3 voies et nous fait signe de le suivre des yeux. Il nous attend à une station service située au milieu d’une intersection de deux autoroutes. On pédale comme des fous, sous la pluie, en nage, à l’heure de pointe. Il nous dit de continuer et nous suit derrière. Mais on ne sait pas où l’on va ? On doit traverser complètement les 3 voies pour se rabattre, il tente de faire barrage aux voitures mais cale. Nous passons sous un tunnel, rejoignons la bande d’arrêt d’urgence, bouchée par une voiture à l’arrêt. « Bling », grand bruit, nous nous rendrons compte plus tard que nous avons cassé un rayon ! Nous arrivons exténuées, trempés, choqués. Le plus fou c’est que nous ne nous sommes même pas faits klaxonnés une seule fois ! Un Tandem qui traverse une autoroute… normal ! Nous voilà chez Ernesta et Mantvidas (oui Tomas nous a invité à Vilnius mais son appartement étant en travaux, il nous héberge chez des amis). Nous resterons 6 jours chez nos hôtes, des vraies vacances ! Visite en long, en large et en travers de Vilnius, et farniente dans leur appartement gentiment laissé pour le week-end. Nos colocataires font de la danse traditionnelle. Elle travaille pour le Baltijos aplinkos forumas (Baltic Environmental Forum), une chouette équipe de jeunes motivés, dans le chouette quartier d’Uzupis : quartier des artistes, qui a autoproclamé son indépendance, établit une constitution, et a même élu son propre président. Lui revient de 8 années passées en Angleterre et joue au basket ball. Nous passerons un super séjour. Ernesta nous apprendra émue les attentats de Nice… la série noire continue et le danger n’est pas là où on l’imagine.
Tomas nous permettra également de rencontrer Dalia et Paulius, qui ont choisi il y a 4 ans de quitter la Capitale pour la campagne. Ils vivent simplement avec leur petite Egle, née entre temps, dans une maison en bois de 1910 typique rénovée, avec moutons, lapins, poules, chiens, potager, toilette sèche et puits. Nous y passerons un fabuleux week-end, entre Fête annuelle de la petite ville d’Alanta – où nous nous gaverons de danses folkloriques, participerons à la 3ème mis temps des artistes avec amusement, et d’où Benoît repartira avec une médaille pour avoir participé à la course locale (3 kms) avec la petite Egle sur les épaules de Paulius – et visite du parc naturel d’Anykščiai. Tous deux sont scouts et investis dans le mouvement local. Leur choix de vie est un exemple pour nous et nous ressentirons la formule d’Olivier Weber « voyager s’est s’attacher puis s’arracher ». Le départ sera douloureux, et comme dans les films, la chienne s’élancera derrière nos roues à notre poursuite. Pour nous consoler nous ramasserons en route des framboises pour le petit déjeuner !
Nous finirons notre séjour en apothéose à Birzaï. Alors que nous nous arrêtons dans une maison pour demander de l’eau, Rimas nous invite à planter la tente et à prendre une bonne douche. Et comme il n’y a pas de hasard, il s’avère que notre hôte est le pasteur de l’église réformée de la ville ! Extrait de correspondance : « cette église, reconverti en temple aux couleurs d’une synagogue, a été investie par les huguenots quittant la France durant la période du désert. Nous ne cherchions pas du tout cet endroit et nous sommes tombés dessus par hasard. L’église est au bord du lac sur un site naturel assez extraordinaire et très couru en Lituanie. L’église est un des rares édifices à ne pas être tombé sous les bombes au cours des 2 guerres où Biržai a été détruite à 80%. Cette communauté protestante représentant 0,2% des 3 millions d’habitants que compte la Lituanie. Elle a passé les années, connu d’autres guerres et surtout a résisté à la pression psychologique de l’occupation russe qui a fait faire des buttes de terre autour de l’église pendant les services du dimanche au bulldozer pour cacher l’église de la population. Rimas a trouvé les fonds il y a quelques années pour faire excaver ces butes et redonner au lieu tout son charme. Rimas fait le lien entre l’actualité et l’histoire, dénonçant les systèmes totalitaires (y compris les dérives totalitaires de l’Europe) comme une maladie où nous devons chacun développer des vaccins par l’éducation et la connaissance, en les réactivant plusieurs fois dans notre vie. » Nous ressortirons profondément touchés par ce témoignage et cette clairvoyance.
Gros coup de cœur, la Lituanie nous réconcilie avec le voyage. Nous avons de plus en plus de mal à quitter nos hôtes et repartir de nos lieux d’étape. Est-ce la distance qui rend plus incertain l’occasion de les revoir un jour ?
A nous la Lettonie !
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Le voyage vous fait et vous défait
Pendant que la barbe pousse et le bronzage de cycliste se peint sur notre corps, l’esprit poursuit son cheminement vers l’essentiel. Nous devons nous remettre chaque jour en question, réfléchir sur comment dépasser les difficultés qui se présentent à nous et oublier nos vieux réflexes. Le voyage t’oblige à être humble et à accepter ta vulnérabilité.
La nature te suscite la pause et l’émerveillement. Les conditions climatiques parfois sévères, de mauvaises routes, la douleur physique ou les escadrons de moustiques te poussent à questionner plus qu’imaginé ton engagement dans ce genre d’entreprise. L’accueil, la gentillesse et la sympathie nous ont comblé en Lituanie : nous avons pris une grande leçon d’humanité. Accepter de se défaire, de lâcher prise, de remettre en question des fonctionnements, des habitudes, du confort ou des positionnements font de toi ce voyageur en mouvement. La vie nomade t’oblige à bouger, à évoluer à t’adapter en permanence.
Ne serait-il pas là le prix pour un peu plus de liberté, de bonheur, de connaissances et d’essentiel ?