Le 19 mai nos roues atterrissaient en Australie, ce pays continent, ce grand Sud, ce bout du monde qui fait rêver tant de personne à travers le monde. L’Australie ou dans sa forme longue le Commonwealth d’Australie (et oui la reine d’Angleterre habille encore leurs pièces de monnaie) est toujours rattachée à l’Angleterre et ce « cordon ombilical » a été réaffirmé en 1999, à la suite d’un référendum.
Vol de nuit sans encombre, nous récupérons le Tandem et la remorque parfaitement emballés, et passons la douane les doigts dans le nez ! Il faut dire que nous avions passé notre dernière journée à Bali à tout nettoyer : tente (dessous, dessus, dedans, arceaux, et surtout les sardines !), duvets, matelas, chaussures, gamelles, vélo (ne pas oublier les gardes boues et les pneu), remorque, bref tout ce qui pouvait être nettoyé est passé sous le tuyau ou dans la baignoire de l’hôtel. Et une journée ne fut pas de trop ! Finalement ce n’était pas la peine de se donner tant de mal, comme la tente et le vélo brillaient, ils n’ont pas cherché plus loin. La guitare en bois de mangue made in Thaïlande ne les a pas fait frémir. Quand on lit les restrictions douanières il y a de quoi se faire des cheveux blancs : outre la nourriture fraîche, il est interdit d’importer des noisettes, des objets en bois, des animaux, des plantes, des graines, des plumes, des coquillages, etc. Sourire en coin, nous les trouvions un peu extrêmes avec leur « île », d’autant que ces restrictions s’appliquent parfois d’un Etat à l’autre. Mais lorsque l’on s’intéresse à l’histoire environnementale du pays, on les applaudit ! La colonisation européenne et la modernisation ont causé de lourds dégâts aux écosystèmes endémiques. De tous les continents, il se dit que l’Australie enregistre le plus grand pourcentage d’extinctions animales dues à l’Homme depuis le 18ème siècle et l’arrivée des hommes, non des occidentaux. Oui, on parle souvent de l’Australie comme un pays jeune, ce qui est le cas sous sa forme actuelle (à peine plus d’un Siècle !). Mais avant que nos ancêtres ne débarquent, et s’approprient ces contrées (vous connaissez la chanson ? C’est toujours le même refrain…) « l’île » était peuplée par des Aborigènes…
Reprenons… nous débarquons donc à Darwin, Capitale du « Northen Territory ». L’Australie est composée de 6 Etats et 3 Territoires. Si le fonctionnement des territoires est comparable à celui des États, le Parlement fédéral peut, s’il l’estime utile, mettre son veto à presque toutes les lois votées par les parlements territoriaux. Peuplée d’environ 150 000 habitants, Darwin, qui porte le nom du célèbre Charles, est une ville moderne, qui fut bombardée par les japonais pendant la Seconde guerre mondiale (ah bon ?). Sympathique, les pieds dans l’eau, elle offre de belles balades le long de la mer de Timor, et des petites marinas de rêve. Elle serait la ville où se produisent le plus d’éclairs orageux au monde, à ce qu’il paraît c’est époustouflant. Mais nous arrivons juste après la saison des pluies et rentrons dans l’hiver australe… nous sommes décidément à l’inverse de vous. Mais ici, la saison « froide » c’est : du soleil, du soleil et du soleil. Des nuits fraîches (20°C^^) et des journées venteuses à plus de 30°C. C’est pour nous incroyable de retrouver un climat sec, archi sec, tellement sec qu’ils passent leur temps à mettre volontairement le feu à leurs forets, pour éviter des feux naturels indomptables. Gestion que nous aurons un peu de mal à comprendre… Mais à part les nuages de fumées qui recouvrent quotidiennement certains endroits de la grande banlieue, et le paysage cramé, c’est un vrai bonheur de découvrir un climat tropical… sec ! Ce serait aussi la ville ayant le plus d’accident liés aux crocodiles (pouvant atteindre 7 mètres de long…). Ca semble être la mascotte, les attractions ne manquent pas, et tout le monde te parle de crocodile. Ici la baignade est interdite… ou fortement déconseillée. C’est noté.
Après quelques coups de pédales dans la ville, nous nous demandons où sont les habitants !? C’est d’un calme que nous ne connaissions plus. Les routes sont larges, la signalisation plus que présente, nous redécouvrons les pistes cyclables. Nous décidons de faire un petit détour par la côte, à Nightcliff. L’eau est turquoise. Les fourmis sont bicolores, vertes et rouges, et très nombreuses. Les oiseaux nous émerveillent. Des Cacatoès banskien (des géants noirs à queues rouges), des ibis, des Vanellus miles (oiseaux avec des babines jaunes), cette faune en pleine ville nous saute aux yeux. Waouh l’Australie, ça promet ! Quelques jours après nous découvrirons nos premiers wallabies à East Point…
Nous prenons la route vers McMinns Lagoon. Nous rencontrons nos premiers aborigènes allongés sur la piste cyclable, semble-t-il en train de dormir (ou de décuver ?). Leur morphologie est très différente de ce que nous connaissons, et nous réalisons que nous ignorons tout ou presque à leur sujet. D’où sortent-ils ? Que font-ils là ?
Les premiers jours sont dédiés à l’apprivoisement de notre warmshower, Kinglsey : 69 ans, géologue, informaticien, fou de vélo, qui vit seul au milieu de « nulle part ». L’Australie c’est beaucoup de « nulle part » : « des villages » où il n’y a que des maisons avec 2 hectares de jardin chacune, et où il faut faire 10 kms pour aller chercher son pain. Nous sommes devenus de parfaits colocataires. Nous lui cuisinions chaque soir des petits plats, regardions les séries télé avec lui, et échangions sur le monde. Lui nous a aidé à prendre nos marques, conseillé, ouvert l’esprit, en plus de nous héberger. Très peu accès à Internet, nous allions tous les jours dans la grande ville intermédiaire, Palmerstone, et faisions nos 40kms A/R par jour. De quoi maintenir la forme ! A vide, sans bagage, nous battions nos records de vitesse. Mais avec Kingsley nous rencontrons notre mentor ! Faisant tout à vélo (sa boîte aux lettres est à Darwin : 80km A/R), avec une vitesse moyenne de 27kms/h, il en est à plus de 300 000 kms à son compteur.
Nous resterons 15 jours chez lui, le temps de trouver le Van qui nous convient et de le mettre à notre nom. Il a été baptisé « Peny », par ces anciens propriétaires car il provoque la chance de trouver des pièces de monnaie. Comme tout marin qui se respecte, on ne rebaptise pas un bateau et nous gardons ce nom improbable (Peny et pas Penis pour éviter tout malentendu). Certain(e) trouve agréable de se poser et de retrouver une vie sédentaire, quand d’autre trépigne d’impatience de prendre la route. Retrouver la « Western Culture » a quelque chose de magique (ou de décevant selon les goûts). On se croirait presque de retour à la maison. « Same same but different ». Ici les 4×4 et autres mastodontes de la route sont légion, les centres commerciaux carburent, 64% des australiens sont considérés comme obèses ou en surpoids et ça se voit, Free n’a pas encore débarqué ici et l’accès à internet reste très cher, le tri sélectif ne semble pas encore connu et beaucoup brulent leur plastique dans leur jardin, bref, nous sommes en pays anglo saxon, et qui plus est en Australie. C’est plutôt l’occidental à l’américaine que nous rencontrons, et c’est un réel changement.
Natives versu Australia White : des générations volées
Nous passerons une très agréable soirée chez Christopher, un autre warmshower. Nos discussions avec lui et Kingsley, nous permettent d’un peu mieux comprendre ce fossé entre « l’Australie blanche » et « l’Australie noire », et ce racisme à peine caché. L’arrivée des colons britanniques sur les côtes australiennes en 1788, sous le commandement de James Cook, sonne le glas de la société aborigène telle qu’elle était établie depuis plus de quarante mille ans. Accaparement des terres, destruction de leur culture, certains parlent même de génocide.
Jusqu’à 1992, la loi britannique puis australienne concernant la terre était fondée sur le principe de « terra nullius », c’est-à-dire que le pays était considéré comme vide avant l’arrivée des Britanniques et, n’appartenant donc à personne, il pouvait être légitimement conquis. On regroupe sous un même terme « Aborigènes » plus de 600 à 700 tribus distinctes, parlant 500 langues différentes (il n’en resterait plus que 18 aujourd’hui) ;
Il faut attendre 1967 pour qu’ils obtiennent la citoyenneté australienne. Avant, ils ne sont rien. Les mairies délivraient paraît-il des permis à tuer, et quiconque en faisait la demande, pouvait à sa guise, tirer sur des aborigènes. Beaucoup ont été confinés dans des réserves sur les terres les plus pauvres. Beaucoup d’enfants auraient été enlevés. Leur complexe système de pensée, connu sous le nom du « Dreamtime », régit toutes leurs interactions sociales. Coupés de cette relation privilégiée avec leur modèle cosmologique, ils perdent tout lien avec leur structure sociale.
Pour les Aborigènes, la terre n’est pas perçue dans une perspective matérialiste mais spirituelle. Leur système de valeurs et de pensée est en complète opposition et, semble-t-il, inconciliable, avec le modèle qu’imposent les Blancs.
Ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement s’excusera officiellement pour la première fois des injustices et mauvais traitements subis par les Aborigènes.
Aujourd’hui ils représentent 2 à 3 % de la population totale. Ils vivent en grande majeure partie en dehors de la Société, et cumulent les handicaps sociaux : difficulté d’accession à des logements décents, scolarisation moindre, consommation élevée d’alcool et de drogues, accès difficile aux soins, problèmes d’alphabétisation, espérance de vie réduite et problèmes judiciaires répétés. La somme d’argent que leur verse mensuellement le Gouvernement Australien ne semble pas être la meilleure des solutions pour rendre la dignité à ce peuple ancestral.
Aujourd’hui leur Art est devenu un vrai business, dans toutes les zones touristiques, les magasins d’arts ou autres biblos peints fleurissent. L’emballement pour les DJ Ridoo, aurait même pour conséquence une déforestation catastrophique, causée par des entreprises commerciales.
Il est facile avec tous ces éléments de comprendre leurs ressentiments, leur amertume, et leur désespérance. Nous n’avons pourtant jamais ressenti d’animosité de leur part, ni de regards accusateurs. Pourtant, de part notre couleur de peau, nous portons malgré nous le poids de l’Histoire, et ressentons une réelle gêne à les approcher. Il nous est difficile de les photographier, de rentrer en contact avec eux, quand nous rêverions d’en apprendre plus.
Le décor est planté, il est temps pour nous de découvrir cet incroyable pays. Ses 7 686 850 km2 de superficie représentent 14 fois la France !