Bienvenue en l‘an 2560 !

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Le 19 janvier 2560 de l’ère bouddhiste, nous revenions à Wat Pa Baan Taad et nous sentions presque de retour à la maison. Étrange sensation. C’était parti pour 2 ou 3 semaines de méditation chez les moines de la forêt. Ce Wat n’a rien à voir avec tous ceux que nous avons croisés jusqu’à maintenant : rien de clinquant, pas de dorure, ni même de temple à proprement parlé. Ici la sobriété est de mise.

La tradition thaïlandaise de la forêt consiste en une « pratique méditative poussée, un monachisme errant, une relation étroite et constante entre religieux et laïcs. » Discipline et simplicité sont les maîtres mots. Ils s’inscrivent dans la tradition Theravada, une branche ancienne et très pure du Bouddhisme. Relativement conservatrice, elle est aussi plus proche du bouddhisme originel que les autres traditions bouddhiques existantes.

Ici la forêt ressemble davantage à un parc arboré avec poulailler-animalerie géant(e) ! Nous prenons chacun nos quartiers. Hommes et femmes sont séparés. Les garçons ont des logements dédiés. Les femmes doivent se loger par elles-mêmes et partagent l’espace des méditantes permanentes et des nonnes. J’ai le droit à la meilleure chambre dans un Kuti (cahute de bois) où logent plusieurs mamies Thaï, avec salle de bain inclue. Chanceuse ? Alex dira que c’est mon Kamma… Nous nous mettons en tenue : blanc pour les hommes, blanc et noir pour les femmes. Rangeons nos affaires et le vélo. Ici les consignes sont strictes. Nous nous engageons à respecter 8 préceptes :

  • Ne pas tuer d’animaux
  • Avoir une parole juste et bienveillante (ne pas mentir, ni critiquer)
  • N’avoir aucune pratique sexuelle quelle qu’elle soit
  • Ne pas emprunter ni prendre ce qu’on ne nous a pas donné
  • Ne pas consommer d’alcool ni de drogue
  • Dormir sur une couche peu confortable (pour éviter toute flemme et l’envie de rester au lit)
  • Ne pas manger après 12h
  • Ne pas avoir de distraction (pas de lecture, pas de musique, etc.)

Le respect, la générosité, et la gratitude sont les 3 grandes valeurs qui accompagnent ces règles, et ce sont elles qui nous poseront le plus de soucis à respecter. Nous pensions – nous européens – savoir ce que cela voulait dire mais c’est une véritable leçon de moral que nous avons pris (pays à 95% bouddhiste). Les thaïlandais diraient même que l’Europe serait le tiers monde des valeurs…

Générosité : « Les 8 dons d’une bonne personne : Donner quelque chose de propre, au bon moment, en main propre, avec discrétion, régulièrement, en calmant son esprit au moment du don, et en étant plein de joie après le don » (Extrait du manuel des moines). Le bouddha préconisait de dépenser l’argent gagné en 3 tiers : 1/3 pour les dépenses du ménage, 1/3 pour l’épargne et le dernier 1/3 pour le don.
Respect : ce fut compliqué de se prosterner devant les statues de bouddha ou devant les Ajahns (moines ayant plus de 10 ans de robe). Et pourquoi pas ? Mais le respect c’est aussi et surtout de respecter strictement les règles, les consignes, les horaires, sans s’en accommoder, comme on peut si bien le faire. De savoir être discret, de faire attention à l’autre et au lieu. De se plier à leurs coutumes, sans vouloir imposer avec nos gros sabots notre conception des choses. Dis comme ça, ça paraît tellement simple… mais plus d’une fois nous nous sommes sentis comme de vrais gaulois, sans gênes, sans discernement. Les thaïlandais ont tellement intégré ce concept de respect qu’il n’est pas nécessaire de faire des maisons de retraite ici. On prend en charge les plus anciens, ça semble tellement naturel. Nous serons également impressionnés de la discipline régnant dans le métro de Bangkok où les queues sont parfaitement respectée.
Gratitude : ce serait savoir accepter ce que l’on te donne. Remercier sans avoir envie de redonner. Remercier avec le coeur et pas uniquement par politesse. Mais ce serait surtout savoir remarquer tout ce que les autres font pour nous. Même les plus petites des attentions, les petits gestes, tout ce qui pourrait paraître être dû, mais qui n’en est rien.

Après cette petite leçon de moralité nous voilà au boulot et là, c’est clair que du boulot il y en a ! Les journées défilent et ne se ressemblent étonnement pas. Les horaires sont stricts : A 6h50 les moines partent au village pour « Pintapat » (quelques kms pieds nus dans le village pour récolter dans leurs bols les dons de nourriture). J’aimais à les voir partir en robe de sortie. C’est aussi l’heure où il pleut des poulets par milliers. L’ensemble de la bassecour descend des arbres, et à peine poser la patte par terre les coqs se ruent sur les poules.

A 7h nous nous donnions rendez-vous avec Benoît pour aller acheter quelques victuailles. J’avais à cœur de participer chaque jour à ce moment festif de dons, même si c’est un exercice loin d’être facile. Si pour les Thaï donner est culturel (ils viennent nombreux le week-end donner en famille), pour nous Européen cela peut créer beaucoup d’agitation. Ces moments étaient aussi précieux pour échanger. Les temps à deux étaient très rares.

A 8h30 nous prenions le seul repas de la journée, tous ensemble, les filles d’un côté, les hommes de l’autre. Moines, Nonnes, méditantes permanentes, méditants étrangers, et tous ceux qui souhaitaient se joindre au repas : habitants du village, touristes, visiteurs, familles… Le repas commence par un chant des moines puis chacun pioche dans les larges plateaux. Ce Wat étant très connu grâce à Luangta Maha Boua (l’un des enseignants les plus renommés de la tradition thaïlandaise de la forêt), la nourriture est abondante et très variée et c’est chaque jour un régal. Mais les aliments n’étant fait ici que pour nourrir biologiquement le corps, le repas se veut rapide et silencieux. Exercice difficile pour nous français. Bonne occasion pour travailler l’avidité et tester si se remplir le ventre nous permet de passer assurément une bonne journée.

Vers 9h les hommes s’occupaient de ranger la Salat (grande pièce) tandis que les femmes s’affairaient à la vaisselle. Chacun repartait ensuite à son Kuti méditer.

A 12h45 c’est la pause café officielle. Boissons fraîches, chaudes, 45 minutes pour se détendre et se retrouver, en restant toujours le plus discret possible. Mais nous avions le droit à ces boissons tout au long de notre journée, ainsi qu’au chocolat noir, au fromage, et aux graines de tournesols (dans la mesure où il y en avait). La faim ne m’a jamais dérangé, je passais plutôt ma journée à digérer ce qui rend la méditation compliquée. Benoît quant à lui a eu plus de difficultés, son estomac de cycliste demandant un peu plus de temps pour s’habituer.

15h : Swipping time ! Le Wat se met au rythme des coups de balai qui dégagent les feuilles tombées des innombrables arbres. Tout le monde s’y met, la poussière vole, les coqs s’en donnent à cœur joie dans les tas de feuille, les fourmis rouges témoignent de leur mécontentement, après ce brouhaha le Wat paraît briller et notre esprit clean.

16 : douche. Chacun est invité dorénavant à rester dans ses appartements. La soirée commence.

18h00 : C’est l’envolée générale de la basse cour qui monte dans les arbres se coucher dans une cacophonie infernale.

18h30 : le meilleur moment de la journée. Plus de bruit, les animaux sont couchés : volailles, paons, écureuils, oiseaux… la température est redescendue… la lune a remplacé le soleil… c’est le moment le plus propice à la méditation.

Quant à la nuit, elle est plutôt fraîche, et ponctuée par des vagues de cocorico que personne ne comprend. Un coup de claquement d’aile, un coq qui chante, et c’est l’ensemble de la forêt qui fait une gigantesque Ola. Le soleil ne s’est pas levé que les coqs chanteurs à capella s’en donnent déjà à cœur joie. C’est reparti pour une nouvelle journée !

Au delà des décibels et des mignons petits lapins qui déconcentrent les pauvres petits apprentis méditants que nous sommes, cette vie au contact des animaux nous a profondément marqué. Pas un qui ne porte pas de blessure, pas une portée entière de poussin qui arrive à l’âge adulte, pas une journée sans un combat de coq ou de poule, sans des poules qui tentent d’échapper au coq, sans des courses poursuites d’écureuils et des cadavres d’animaux… Chaque jour nous avons été confrontés à la mort, à la souffrance, à la peur, à l’avidité, à la dureté de la vie animale, bien loin de nos imaginaires de citadin. Cette vie semi sauvage nous a montré la vie telle qu’elle pouvait être. Bon sujet d’étude pour des méditants ! Qu’on croit ou non à la réincarnation, pas un méditant ne ressort de cette retraite sans avoir émis l’angoisse de se réincarner un jour en poule ! Et pour éviter cela il est fortement conseillé dans la vie laïque de suivre les 5 premiers préceptes (le troisième étant de ne pas avoir de « déviance sexuelle » (tromper son conjoint etc.) si l’on souhaite avoir une chance de se réincarner en humain !

Nous avons presque chaque jour pu échanger avec Alex, ordonné depuis maintenant 4 ans. Sa disponibilité, sa patience, sa pédagogie, et sa clairvoyance nous ont grandement aidé dans notre séjour qui ne fut pas simple tous les jours. Nous avons pu également assister à plusieurs « talks » d’Ajhan Martin (son enseignant) qui nous ont permis de mieux comprendre ce qu’était le Bouddhisme, le Dhamma, le Kamma, la Méditation….

Nous avons plongé dans un univers totalement inconnu. Nous savions que ce séjour ne nous laisserait pas indemne, mais jamais nous pensions être aussi touchés, bouleversés, renversés par une religion. Le bouddhisme n’étant pas une philosophie. Mais à la différence des autres religions, le Dhamma (phénomène ; évènement ; réalité ; la Vérité ; la manière dont les choses sont en elles-mêmes et par elles-mêmes ; les principes de bases qui sous-tendent leur comportement. Aussi utilisé en référence aux enseignements du Bouddha) est tourné vers soit, vers l’intérieure et c’est ce qui nous a le plus séduit. La vision du monde et sa propre vie dépendent de chacun de nous. L’humain est ainsi seul responsable.

Plutôt sceptiques au début nous nous sommes doucement ouverts et avons accepté le jeu du « au fond, je ne sais pas, pourquoi pas ? ». Nous parlons ici davantage de confiance que de foi dans l’enseignement du Bouddha et le témoignage de ses successeurs, qui assurent que chacun est capable d’échapper à la souffrance et d’expérimenter l’Eveil. Bouddha n’est pas Dieu. C’est un enseignant, un exemple à suivre : on ne le « prie » pas pour qu’il nous vienne en aide. On suit ses enseignements pour sortir « du jeu », et ne plus se réincarner. Car là est bien l’objectif. Des cérémonies ont lieu en son honneur, mais il s’agit de le commémorer, comme on honore un « grand homme ». Les dons aux pieds des autels ou des statues (offrande d’encens, de bougies, de nourriture) ne sont pas destinées à s’attirer ses faveurs mais sont des marques de respect, une façon détournée d’offrir des offrandes aux moines ou une mise en pratique de son enseignement (le don étant une manière de pratiquer le détachement). Les temples, les rituels (telle que la méditation assise ou marchée), les statues, les actes de dévotion… sont là pour faciliter la concentration et détourner l’esprit des préoccupations quotidiennes. Ils aident à avoir toujours présents à l’esprit ses enseignements et contribuent à soutenir la motivation.

Ce séjour nous a aidé à mieux comprendre cette société Thaïlandaise si généreuse, si respectueuse, si amicale, surnommée « le pays du sourire », ainsi que leur adoration pour leur Roi (qui, entre autre, suivait les 5 préceptes – quel homme politique de chez nous peut se vanter d’en respecter au moins un ?).

J’ai enfin compris pourquoi Alexandre avait choisi de tout quitter pour devenir bhikkhus, pourquoi il avait choisi cette tradition, ce lieu. Pourquoi il s’imposait et nous imposait toutes ces règles. Ma colère et ma peine se sont transformées en profond respect et admiration.

Nous savons désormais ce que Kamma et méditer signifient (exercice tellement difficile, mais tellement bénéfique.)

Nous voilà désormais entre deux mondes séparés par un profond fossé. Nous imaginions nous accorder deux jours de sas de décompression avant l’arrivée de la famille, histoire de redescendre de notre perchoir, mais nous nous sentions si bien que nous sommes restés 3 semaines pleines.

C’est difficile de mettre en mots notre expérience mais nous serions heureux de pouvoir en discuter avec qui le souhaite. Pour sûr nous y avons laissé un petit bout de nous et aimerions y retourner.

Place désormais à la famille, pour 3 semaines de retrouvailles dans les plus beaux décors de Thaïlande et du Cambodge !

2 commentaires

  1. Waaaou ! Merci pour cet article qui exprime parfaitement la vie dans un tel lieu, et tout ce qu’on peut ressentir en s’y immergeant plusieurs semaines.
    Je m’intéresse aussi beaucoup à la méditation, ça fait un bien fou ; mais c’est tellement dur de pratiquer régulièrement – et correctement – quand on voyage au jour le jour ! On a vite fait de s’égarer.
    En tous cas, quand on lit cet article, ça donne envie d’aller s’y consacrer pleinement pendant plusieurs semaines dans un endroit comme ça ! Même si comme vous le dites, ce sont quand même des conditions difficiles. Est-ce que vous pensez que le fait d’être deux vous a aidé à mieux les accepter ?

    Bonne route à tous les deux !

    1. Salut Nathan
      Merci à toi pour ce témoignage qui nous fait très chaud au coeur.
      Oui tellement dur de méditer… Nous avons tenu deux semaines après le Wat… on va essayer de s’y remettre maintenant que nous reprenons la route à 2 !
      On te recommande vivement de t’y rendre si l’envie te porte.
      D’être deux nous a aidé oui. Porté. Mais ça a aussi contrarié nos médit’ parfois, ou poussé à la comparaison. Après c’est une expérience très personnel, et si le décalage de vécu est trop important entre les deux personnes je pense que ça peut être néfaste. Mais c’est une super expérience de couple, et vivre cela séparément aurait été pour moi très difficile en terme de reconnexion à l’autre. Aussi, on se sent moins seul(e) et incompris(e) quand on retourne à la real life, nous sommes deux.
      Au plaisir d’échanger avec toi et de te rencontrer !
      Virginie

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