Pourquoi le voyageur est-il si friand de cette liberté ? Pourquoi veut-il toujours aller voir derrière la colline d’après ? Combien de kilomètre doit-il parcourir pour répondre aux questions qu’il se pose et auxquelles il n’aura jamais ses réponses ? Est-ce que rouler vers l’essentiel n’est pas rouler vers une chimère ?
Le choix a été soumis au conseil. A l’unanimité, nous laissons pour le moment notre route retour vers l’Europe et nous poursuivons vers l’Indonésie, cap sur l’Australie. « It’s a good choice, and have fun ! »
Le 26 avril 2017, nous atterrissions sur l’île de Bali. Contents de mettre le pied en Indonésie, c’est surtout explosés que nous remontons notre tandem sous les regards amusés des touristes et des chauffeurs de taxi. Quelques heures plus tard, dans une chaleur humide et écrasante notre tour de l’île commence : c’est parti pour 3 semaines !
Notre première impression c’est la densité de population et de touristes en traversant Denpasar, la capitale de cette île de 4,2 millions d’habitants (2014). C’est rock’n’roll sur la route et presque plus dangereux que notre référence Vietnamienne. Nous sommes aussi séduits par l’architecture, ces pierres noires et ces grands bambous décorés de part et d’autres des rues. Tout est si beau et si chargé, que nos yeux ne scannent pas assez vite pour comprendre ce que nous découvrons.
Nous doublons un cycliste pied nu et cheveux en dreadlocks : « Je vous ai déjà croisé il y a quelques années, non ? » nous lance-t-il alors que nous le doublons avec les respects habituels. « Je ne crois pas que c’était nous ». « aaah, moi je suis sûr que je vous ai déjà vu quelque part… ». Soit nous ressemblons vertigineusement à un autre couple de tandémistes (d’ailleurs nous n’en avons jamais croisé), soit l’arak (alcool local traditionnel) a fait son œuvre sur ce bougre…
Entre hindouisme, Islam et christianisme
Nous mettons quelques jours à faire la différence entre les temples et les maisons traditionnelles d’habitation tant les ornements sont raffinés. La plupart des habitants ont chez eux des hôtels pour les esprits. Ils effectuent matin, midi et soir un rituel d’offrandes et de prières devant la porte d’entrée. C’est souvent une petite panière en feuille avec des fleurs, de la nourriture et de l’encens. Le rituel est doux, majestueux et inspire le respect. Attention à ne pas rouler dessus ! Cette tradition ancienne s’est intégrée à l’hindouisme pratiqué plus tardivement. Les soirs de pleine lune ce sont des cortèges de balinais en habits traditionnels que nous voyons déambuler sur les plages pour déposer des offrandes à la mer. C’est souvent aussi l’occasion de fêtes avec musique, alcool de coco et danses traditionnelles. Il n’est pas rare d’entendre des percussions et des gamelans, ces sortes de grands xylophones à lamelles métalliques frappés avec des marteaux et qui se jouent à plusieurs.
Pour pénétrer dans un temple il faut se vêtir d’un drap recouvrant les jambes ainsi que les épaules. Ils sont souvent fermés à clefs et réservés aux pratiquants. C’est un lieu sacré non accessible aux profanes que nous sommes et c’est parfois un peu frustrant. Les plus grands temples sont payants ou une boite laisse la possibilité d’un don. Ces temples en plein air sont impressionnant de sophistications, en pierres noires et les lieux sont souvent magnifiques. Il y a même quelques singes parfois autour de ces temples, probablement présents pour forcer le don, surtout quand c’est de la nourriture.
Un soir, nous demandons à planter la tente dans les environs d’un temple. Un habitant nous confirme que c’est possible mais la nuit tombante, un groupe vient nous demander de déménager. Nous ne pouvons pas rester ici car c’est un lieu sacré commun et nous ne sommes pas vraiment les bienvenues. La vue été pourtant splendide sur la mer et les échanges avec les jeunes du coin super sympa. Nous finirons gratuitement dans un hôtel 18 étoiles en rénovation juste à côté pour nous déplaire.
L’hindouisme cohabite avec l’islam et c’est pour nous relativement nouveau de découvrir ces grandes mosquées et ces appels à la prière réguliers. Les cartiers d’habitation sont séparés mais pas partout. L’Indonésie est le plus grand pays musulman. L’hindouisme est en revanche dominant sur Bali.
Nous croisons aussi parfois une église chrétienne, dans un indonésiens’ style et c’est pour nous presque plus curieux que les temples hindouistes.
Nous avons été frappés par l’ouverture d’esprit de la plupart des balinais sur le plan religieux y compris. Il y a un profond respect des pratiques. Ce n’est pourtant pas l’image que renvoient les médias, avec notamment la couverture de la politique et des corporatismes religieux. Encore une fois, nous constatons une différence honteuse entre ce qu’on pourrait entendre du pays et ce que nous vivons sur place.
Les balinais ont plaisir à faire découvrir leur culture. Ils ont réussi à la garder malgré la présence de plus en plus d’étranger (occidentaux, japonais, chinois mais aussi indonésiens de Java) attirés par la manne financière du tourisme. La question reste de savoir encore pour combien de temps. Et si cette culture devenait un musée vivant, ce serait probablement bon pour les affaires…
Un petit coin de paradis
« Profitez bien les glandouilleurs… »
Sauf que faire le tour de Bali à vélo ce fut tout sauf des vacances. Nous nous sommes dits à plusieurs reprises en croisant des touristes SS (scooteur-snorkeling) que nous ne savions pas vraiment profiter des bonnes choses et que nous savions nous faire du mal. Mais rapidement après ce genre de moment vient la récompense. La douleur aux jambes disparaît même si la mémoire de ces moments reste vive.
Cette île de la longue suite indonésienne est un vrai petit bijou. Ses volcans culminant à plus de 3000m obligent l’air tropical chargé d’humidité à se condenser en donnant de généreuses pluies. La nature y est luxuriante. Tout y est en XXL. Cette eau est présente partout des nombreux lacs d’altitude aux champs de riz en terrasse recouvrant les pentes des volcans. Toutes ces rivières se déversent dans la mer, sillonnant parfois les plages.
L’île est bordée de ces nombreuses plages de sable noir sur lesquelles s’écrasent les vagues de l’océan Indien faisant la joie de groupes de surfeurs. Il faut ajouter quelques cocotiers, des bateaux traditionnels (trimaran à flotteurs bambou) et de superbes temples hindouistes.
J’ai adoré ces vues plongeantes et lever de soleil sur fond de pentes de volcan.
Bali est véritablement un petit paradis. La température de l’eau est agréable, la nature généreuse (nombreux fruits hallucinants et tellement bons ainsi que de superbes fleurs), les fonds marins extraordinaires et la beauté de l’architecture contribue aussi à donner un aspect un peu mystique à l’île.
Du tourisme, du tourisme et un peu d’agriculture
Ce serait autour de 5 millions de touristes par an aujourd’hui, soit pas loin de 130 avions atterrissant et 130 autres décollant chaque jour en moyenne. A ce rythme là c’est une véritable industrie du tourisme dont il faut parler, australiens en tête, devant les chinois et aussi beaucoup d’européens.
En 2010 c’était 2,5 millions de touristes par an et la quantité ne cesse d’augmenter. Le nombre de français venant sur « Lîle des Dieux » est en permanente augmentation. Pas étonnant que l’université de Denpasar ait développé une filière tourisme. Ce n’est pas loin de 90% de l’activité économique de l’île. L’offre d’hôtels, resorts, guesthouses ou de homestays paraît supérieure au flux de vacanciers et chacun veut tirer ses marrons du feu touristique.
Il n’est donc pas étonnant qu’à cette allure, la perle commence à s’oxyder. Accueillir tout ces touristes implique des infrastructures titanesques à commencer par l’aéroport. Les routes absorbent difficilement le trafic et la saturation est assurée à chaque heure de pointe. Nous n’y étions même pas en pleine saison. Le modèle économique peut se discuter, surtout à rapprocher des 4,2 millions d’habitants sur l’île à l’année. Il n’y a pas de traitement des eaux usées partout et les plans d’urbanisme n’existent pas vraiment. Il est courant de constater que les grands complexes hôteliers appartiennent à des investisseurs étrangers et que de nombreuses villas sont vides une partie de l’année.
Le cas d’Ubud est typique. C’était un petit village pittoresque perdu dans la montagne devenu aujourd’hui la capitale de l’art balinais et des retraites spirituelles. C’est plutôt mignon mais on y sent une pression touristique comme jamais. Nous passerons un peu de temps avec un sculpteur sur bois. Sa famille travaille le bois ainsi depuis 4 générations. Sa boutique est un véritable musée et la précision des sculptures est remarquable. Nous nous sentons tellement mieux au milieu des rizières et des portions de jungle encore présentes, mais encore pour combien de temps ?
Les 10% de l’activité économique restante de l’île sont agricole. C’est principalement une production de riz mais aussi de légumes et de fruits. Le travail se fait encore beaucoup à la main et utilise la traction animale.
Il est difficile d’imaginer l’état dans lequel serait l’île sans avion ou sans touriste. C’est pour quand la prochaine crise économique ?
Une soirée au coin du feu
Ce soir là, nous sommes dans le parc national et nous cherchons un petit coin pour poser nos 2m carrés de tente. Nous prenons un petit chemin et demandons à Kutuk la possibilité de passer la nuit ici, bien rodés par une année de demande.
A peine notre palace sardiné c’est la famille, les amis et les voisins qui débarquent. Nous racontons notre histoire puis nous écoutons les leurs. Tout le monde s’éclipse quand nous préparons notre dîner pour mieux revenir. La guitare accompagne une chorale multi générationnelle nous laissant entrevoir les tubes de Bali. Nous sommes au coin du feu et les bananes grillées et les patates douces sont excellentes. Le guitariste possède aussi des talents de grimpeur et fait tomber au sol une coco pour chacun d’entre nous. Nous sommes sous le charme de cette rencontre surprise.
‘Tidoor, tidoor… » (dormir, dormir…) répète un jeune garçon. Nous comprenons qu’il ne veut pas vraiment aller se coucher, et d’ailleurs nous non plus !
Mon cher Wayan
Wayan c’est le prénom donné au premier enfant de la famille quelques soit son sexe. Nous rencontrons Wayan, il est gardien d’une grande villa possédé par un riche américain y habitant quelques mois dans l’année. Nous plantons notre tente en bord de côte attiré par le spectacle d’impressionnantes vagues. Il vendait des bracelets sur la plage dans le passé et il est bien content d’avoir ce travail stable. Ils sont 5 personnes à travailler dans cette villa : 3 au jardin, à l’entretien et à la sécurité, une cuisinière et une femme de ménage. Le salaire est d’environ 100$US par mois. Wayan est curieux de notre installation et nous invite à nous baigner dans la piscine de son patron parti pour quelques jours. La propriété est un petit havre de paix bordée de cocotier. La différence de richesse des hommes sur cette terre nous interpelle une fois de plus. Vivons-nous tous dans le même monde ?
La sensation du grand vide
Il nous est arrivé d’éprouver un grand vide dans ce paradis aussi fou que cela puisse paraître. La question récurrente « Pourquoi sommes nous là ? » surgit à nouveau et nous tourmente. Nous avons pris la décision de poursuivre notre quête d’essentiel, n’ayant pas encore trouvé les réponses à nos questions. Notre décision de poursuivre en Australie nous revient comme un boomerang aborigène.
Courageux ou stupides ?
C’est sur la côte Est que nous vivrons l’une des pires étapes du voyages. Les pentes sont mesquines et bien trop nombreuses. Virginie trouve que nous sommes stupides de s’infliger cette souffrance. Elle le confirme au travers du regard des gens amusés et rigolards. Il est à croire que nous sommes de curieux occidentaux à circuler ici à vélo, surchargés alors qu’il est si facile de tourner la poignée d’un scooteur. Ils ont bien raison de se moquer : seuls des gens fortunés et cherchant comment se distraire sont capables d’inventer pareil projet. Ses pensées rendent l’étape encore plus difficile.
Peduli Alam au secours d’une nature hypothéquée
Peduli Alam est une association crée en 2008 par Charlotte, une française venue passer quelques temps autour d’Amed. « Peduli Alam » veut dire « protéger la nature » en indonésien. Amed est un petit bijou dans le bijou sur l’est de l’île en bord de côte. Le village de pécheurs installé sur cette plage de sable noir sur les pentes du volcan Agung (dernière éruption dans les années 50) se transforme petit à petit en un spot incontournable de plongée sous-marine. Il est vrai que les fonds sont incroyablement variés et enrichis de 2 épaves très proche de la côte. Ici le corail a été à peu prés préservé, pas comme à Pemuteran ou la pêche à la dynamite a ravagé les fonds.
Nous rencontrons Mathilde et Isadora toutes les 2 volontaires pour l’association. Elles nous font découvrir le projet et leur vie sur place. Peduli Alam fait travailler 5 balinais : 4 pour la collecte et 1 jeune pour les sensibilisations et la logistique. Le déchets sont collectés et non déposés dans la nature ou brûlés au pas de la porte. Ils sont ensuite triés et recyclés. De nombreux projets de valorisation ont vu le jour et ces bénévoles sont toujours à l’affut de nouveaux débouchés. C’est 240 poubelles et pas loin de 800 familles qui sont concernées. Quand nous arrivons Isadora nous fait visiter la boutique et nous montre les nombreux objets fabriqués à partir de déchets (sacs, trousses, bacs, poubelles, tabourets, boucle d’oreille…) et proposés à la vente pour les touristes.
Nous serons impressionnés par la ténacité des bénévoles sur place, sur leur ouverture d’esprit et leur accueil si chaleureux. J’aurais même le droit à une soirée en famille pour la pleine lune et une « full moon party » sur la plage pendant que Virginie tente de se remettre d’un petit problème intestinal. Nous y serons bien et les quelques jours passés ici auront été riches d’échanges. Merci les amis !
Bali aura été aussi belle que difficile. Malgré une forte appréhension à l’arrivée par la réputation touristique de l’île, nous serons finalement nous aussi charmé par ce petit caillou. Nous y avons fait de nombreuses belles rencontres tant de balinais que de bagpackers, digital nomades et même un biker !
Nous comprenons à présent comment il est possible de ne jamais en repartir.
Mai 2017.