Nous commençons l’année en beauté. Fanny vient nous rendre visite quelques jours dans notre ferme. Nous l’avions rencontré à Wondaï, elle faisait partie de la Spoon Team (cf. article août). Bien heureux de ces retrouvailles nous passerons du bon temps : visite de la petite station de Bright, promenades-safari, crapette, cuisine. Nous aurons la chance de voir une maman wombat et son petit, des « blacks wallabies », et des renards. Nous partagerons également de belles discussions. Fanny nous impressionne par sa maturité, son ouverture d’esprit, sa curiosité et son écoute. A seulement 21 ans, nous lui donnons facilement quelques printemps de plus. Voilà 6 mois qu’elle voyage seule en Australie. Plus d’une corde à son arc, elle rentre en France pour intégrer l’Armée de Terre et travailler sur les systèmes d’information géographique.
Après 3 semaines dans « notre » ferme, il est temps pour nous de rendre les clés (que nous n’avons jamais eu, ici on ne ferme jamais) et de quitter chiens, chats, cochons, moutons et chevaux, ainsi que leurs adorables propriétaires. Nous prenons la route de Melbourne : il est temps de vendre notre van, et plusieurs futurs acheteurs nous attendent. A peine arrivés dans la banlieue Est, Penny trouve déjà de nouveaux propriétaires : Mellit et Sarah, un couple de breton. Nous ne pouvions rêver meilleurs acheteurs tant ils ont été parfaits. Tout se fera simplement et dans une belle ambiance. Ils nous inviteront même à diner et les échanges iront bons trains.
Avant de leur donner les clés nous profiterons du van 10 jours de plus. Nous commencerons le rab par un week-end autour du fort Nepean. Nous irons ensuite visiter le bureau d’Etudes Trisled (www.trisled.com.au) où Benoît espère donner un coup de main durant la semaine. Ben Goodall a commencé cette production de vélo spéciaux il y a maintenant plus de 15 ans. Trisled est connu pour une vélomobile bas coût à monter soi-même en panneaux sandwich ou son « Rotovélo », une vélomobile en plastique, moulée par centrifugation comme un canoë ou des réservoirs d’eau beaucoup produits dans la région. Ben est surbooké et n’a pas vraiment le temps de m’initier à la construction de vélo spéciaux. Comme tous ces passionnés de l’extrême, il est souvent difficile de trouver plus de quelques heures dans leur emploi du temps : dommage ! L’atelier ressemble plus à un garage où de nombreux concepts de vélo tous plus incroyables les uns que les autres sont alignés sur les bords. Nous parlons transport en général, transport à vélo en particulier et comparons l’Europe et l’Australie. Nous arrivons tous les 2 à la conclusion que les vélos spéciaux sont une niche et qu’il n’est pas encore envisageable que tout le monde abandonne ne serait-ce que sa seconde voiture pour se mettre au vélo. Les bénéfices pour les cyclistes et pour la société seraient immenses, alors, nous gardons tous les 2 espoirs. Du coup la semaine de développement de vélo se transforme en une semaine studieuse à préparer notre retour. Chaque soir, nous posons le camion en bord de mer, et nous exclamons de cette chance. Chaque matin c’est un bonheur de se réveiller sur la plage, et de petit déjeuner « les pieds dans l’eau ».
Devoirs terminés, nous passerons notre dernier week-end sur Philipp Island, à côté de French Island. L’idée est d’aller à la rencontre des plus petits manchots du monde. Ils ne mesurent qu’une petite quarantaine de centimètres et leur pelage est bleuté luisant. Mais ce que nous ne savions pas, c’est qu’il est possible de les observer tout près de Melbourne ! Nous ne regretterons pas notre escapade, l’île est magnifique et nous avons pu approcher les bébés manchots de vraiment près. Quel incroyable animal ! Ils se nourrissent de petits poissons, de calmars, et de krill pour lesquels ils voyagent et plongent la majorité de leur temps. Les pauvres juvéniles attendent donc toute la journée leurs parents, partis chasser dès le levé du soleil et jusqu’à la nuit tombée. Par chance ils peuvent être deux, mais pour ceux qui sont seuls, les journées semblent bien longues. A partir de 18h-19h, certains impatients sortent de leur nid et attendent le repas. Chaque couple creuse une cavité. Mais il y a de fortes inégalités dans les logements et si certains habitent des nids vu sur mer, d’autres se trouvent en bord de route.
Comme d’habitude, le tourisme de masse viendra ternir l’atmosphère. L’île est très touristique grâce à la présence de ces manchots, et le seul endroit gratuit pour observer ces petites créatures sera bondé. Bien sûr nous sommes les premiers à jouer ce jeu. Mais nous ne partageons pas tous la même philosophie. Ici peu de touristes viennent découvrir ce qu’est un manchot. La plupart viennent seulement prendre des photos. Ils s’arrêtent quelques minutes, les regardent à travers leur écran de téléphone portable, hurlent de joie d’avoir le selfy du jour « so cuuuuute » oublient d’enlever le flash, et courent au nid suivant, toujours rivés derrière leur écran. Nous avions l’impression que les visiteurs en oubliaient qu’un manchot est avant tout un être vivant, et non un objet de muséum. Nous repartons écœurés, avec ce sentiment étrange de se sentir plus proche de manchots que de nos propres confrères, et ce dégoût qu’une fois de plus la nature n’est qu’un capital loisir et financier. Nous n’avons que peu parlé du tourisme de masse dans nos articles. Mais ce sujet à alimenter de nombreuses discussions. Nous reviendrons en France profondément choqués et tristes par le comportement de ce type de tourisme, dont nous ne sommes pas complètement étrangers nous-même. C’est à chaque fois une belle leçon de l’égocentrisme humain.
Ces 10 derniers jours de voyage en van nous vaudront nos plus beaux bivouacs. La région sud-est de Melbourne est splendide. Nous nous installons en ville quelques jours dans le superbe appartement de Suzanne, notre warmshoweuse. Encore une fois, nous ne pouvions rêver mieux. Elle ira jusqu’à nous donner les clés de chez elle, et après 4 nuits nous deviendrons de parfaits colocataires. Planning chargé, nous ne passerons que deux soirées avec elle, mais ce fut un plaisir d’échanger sur le voyage à vélo (elle revient de 10 jours en Tasmanie) sur le féminisme, l’Australie, le couple… Son appartement croule sous les médailles : marathon, triathlon, et même iron man, ce petit bout de femme est une vraie machine ! Suzanne habite à 2 kilomètres de l’embarquement du « Spirit of Tasmania ». Elle nous escortera sur son bolide. De quoi finir en beauté cette rencontre. Elle a pour projet de tout quitter elle aussi pour partir voyager à vélo et vivre quelques années en Europe, avant de retrouver sa Nouvelle-Zélande natale. Rendez-vous en France Suzanne !
A Melbourne nous retrouvons à nouveau Fanny, pour une après-midi de visite : Bibliothèque centrale, Cathédrale Saint-Paul, Galerie Nationale du Victoria et le traditionnel dernier étage du Sofitel pour la vue sur la ville. A 3 sur le tandem nous en ferons sourire plus d’un, nous compris. Nous y serons pendant l’Open d’Australie et profiterons des transats et écrans géants mis à disposition partout dans la ville pour l’occasion. Cette Capitale-Etat a comme Sydney les pieds dans l’eau. Les régates, les wind-surfeurs, et kite-surfers s’en donnent à cœur joie. Ce sont dans ces grandes villes qu’il est le plus facile de se doucher, car leurs plages disposent de douches fermées. Il se dit que c’est la ville la plus Européenne d’Australie et c’est vrai que nous retrouvons de vieilles pierres et un nombre incroyable de cafés. Les magnifiques églises peinent aujourd’hui à exister au milieu de ces buildings modernes. C’est un étrange mélange architecturale. Nous y arriverons en pleine canicule. Mais ici les variations de température sont peines croyables et vous passez de l’hiver à l’été en quelques heures ! Tout dépend d’où vient le vent : du désert, ou de l’Arctique ! Michael nous fera gentiment visiter l’Enterprize, son vieux gréement qui appelle au voyage en équipage. Responsable du projet et animateur d’un réseau de bénévoles, il fait vivre ce patrimoine maritime australien : chapeau ! Il nous parlera de la rencontre historique entre les bateaux d’exploration français et anglais à la fin du 18ième siècle aux portes de Melbourne. Ils se porteront en respect mutuellement là ou leur dirigeant leur exigeaient à l’époque le combat.
Clés du camion rendues, nous voilà à nouveau cyclo-voyageurs ! C’est à la fois un pincement au cœur, un soulagement, de l’excitation, de l’appréhension et une grande fierté. Le 26 janvier nous embarquons sur le ferry avec ce sentiment de quitter l’Australie. Quel incroyable voyage aurons-nous fait en terres australes. A se remettre en selles, nous aurons la vague impression que cette expérience en camion n’aura été qu’une parenthèse, un claquement de doigt, un doux rêve… et pourtant, nous ne sommes pas près d’oublier ces 8 mois. Ils nous marqueront bien plus que nous ne l’imaginions.
Nous naviguerons le jour de l’Australia Day (Fête Nationale) ! « Ah … c’est donc pour ça que les billets étaient si peu chers! « . La date commémore l’anniversaire de la création de la colonie britannique sur le sol australien. C’est en 1788, sur les terres de l’actuelle ville de Sydney, que le capitaine Arthur Phillip vint planter le drapeau de la couronne britannique. Autrement dit, ils fêtent l’invasion des colons et le début de la fin pour les Aborigènes. Jour férié, il est de tradition de se retrouver entre amis ou en famille autour d’un barbecue. C’est une fête très démonstrative et très animées dans les rues. Cependant, celle-ci est de plus en plus controversée et il n’est pas bon partout de sortir son drapeau national. Ainsi, des manifestations parallèles ont été organisées depuis les années 90 afin de protester. D’autres noms sont alors donnés à ce jour, tels que Invasion Day (le jour de l’Invasion) et le jour de la survie. Des propositions ont été faites pour modifier la date, mais celles-ci n’ont pas abouti. En août 2017, trois conseils municipaux de Melbourne votent pour un changement de date. La ville d’Hobart apporte également son soutien à ce mouvement. Début 2018, le leader des Verts, annoncent que son parti ferait dorénavant campagne pour changer cette date. Le chemin est encore long mais les consciences semblent se réveiller.
Les australiens nous manqueront, entre autre parce que :
- Ici, au supermarché, le personnel de caisse vous dit « bonjour, comment vas-tu ? » avec le sourire. Et ça marche dans les deux sens ! Fanny se mettra aux coutumes locales et nous étonnera par ses « salut mon pote, ça va ? ». Il arrive même que la personne vous appelle « darling » ou encore « honey ». Nous, nous ne nous y ferons pas… mais nous amusons à imaginer ce que ça pourrait donner en France.
- Curieux et chaleureux, ils sont polis, souriants, et respectueux
- La simplicité administrative (excepté pour l’obtention des visas et titres permanents)
- La jolie cohabitation entre les divers styles de vie
- L’incroyable sentiment de sécurité (pas de portique dans les supermarchés, vous pouvez laisser vos voitures et maisons ouvertes, personne ne viendra chiper votre pull oublié sur la plage…)
- Leur politiquement correcte (qui peut aussi pesé sur le long terme, mais à court terme, c’est quand même chouette. Personne ne viendra émettre son avis ou vous faire une réflexion sur votre coupe de cheveux, votre régime alimentaire, votre nouveau tatouage, votre épilation, votre façon de vous habiller, votre absence de chaussure etc. Quand aux sujets épineux comme la politique par exemple, il est possible d’échanger des points vus forts différents sans jamais lever le ton ou perdre le sourire.)
- Leur audace (sûrement en partie lié à l’absence direct de jugement, les australiens, et sûrement anglo-saxon, ont une capacité à oser qui nous émerveillera. Lancer son business, recommencer si on a échoué, chanter dans la rue, organiser un événement, ils ne semblent avoir peur de rien !)
- Le climat
- La nature (animaux, vie sauvage)
- Les avocats (et autres fruits locaux)
- Leurs toilettes publics toujours propres, avec du papier et très nombreux
- Les barbecue en libre accès
- Et tellement d’autres choses…
Mais tout ne nous manquera pas, tel que :
- Les voitures qui restent stationnées sans couper le moteur
- La nourriture bio est rare et extrêmement chère
- Le respect strict des règles (pas facile pour les français)
- Le tri sélectif trop peu courant
- Leur « tout business » (tout est occasion de faire du fric)
- Leur racisme affiché
- Leur politique ultra libérale et protectionnisme (ici pas de problématique de migrants puisqu’ils n’en accueillent quasiment pas)
- Les distances
- L’absence de culture architecturale, culinaire…
- Le tout voiture et l’absence de respect envers les cyclistes
- Leur télé (ici, il y a des publicités toutes les 10 minutes (!), les images sont beaucoup plus rapides et les messages ne sont pas subliminaux. Tout est permis aux informations, y compris les images les plus gores et les plus violentes. Ils ne diffusent essentiellement que des programmes de divertissement. Bref, leur télé nous a donné mal à la tête !)
Non d’un diable, en avant pour la Tasmanie !