Cap plein sud ! Nous entamons notre deuxième grand virage du voyage. Après le nord, puis le grand est, nous commençons notre descente du continent. Notre ombre nous accompagne désormais du matin au soir. Nous découvrons la région de la Bouriatie et ses habitants, nés d’un brassage entre populations chamanistes indigènes et nomades mongols, nous nous croyons déjà en Mongolie !
La reprise se passe plutôt bien les premiers jours. Nous sommes heureux de remonter sur notre vélo et retrouver nos habitudes. Malgré la fin de la trêve « vélonale », nous apprécierons retrouver notre « chez nous » – qui se résume au tandem – de reprendre notre rythme, notre routine. Notre quotidien justement se résume à mettre le réveil aux alentours de 8 heures, plier la tente et la couche, petit déjeuner, recharger le vélo – et pour ça il nous faut 1H30 en prenant plus ou moins notre temps. Quelques coups de pédales plus loin, nous nous arrêtons souvent faire des courses (pain – pique nique du midi – qui l’eu cru nous sommes devenus des aficionados du super marché !). Nous sommes contents lorsque nous avons fait minimum 30 kms le matin. Les matinées où l’on n’avance pas annoncent souvent des journées à petit kilométrage ou des après-midi trop longues. Le temps de vélo est rythmé par les besoins de pause et la prise de photos. Nous nous arrêtons souvent vers 13 heures pour deux heures de pause déjeunée accompagnée parfois d’une petite sieste quand la météo le permet. Puis nous reprenons la route et pédalons plus ou moins tard jusqu’en fin d’après-midi, où nous recherchons un endroit pour nous laver et pour bivouaquer. L’objectif kilométrique de la journée et les points d’eau donnent souvent le la. Décrassage, lessive, l’un monte la tente pendant que l’autre cuisine au feu de bois ou au réchaud, et nous voilà au lit à la tombée de la nuit. Un peu de lecture ou d’écriture si la fatigue le permet, et nous plongeons relativement vite dans les bras de Morphée. La nuit est quant à elle rythmée par les bruits et le trop plein d’eau avalé dans la journée. Le réveil sonne souvent trop tôt à notre goût et il nous arrive de le repousser. C’est parti pour une nouvelle journée !
Ici les aurores sont fraiches et le soleil se couche tôt (21h). A 18 heures la chaleur nous quitte et le vent nous glace. La fenêtre pour pédaler s’est considérablement amoindrie depuis l’Europe.
Au 3ème jour les courbatures se font sentir, les genoux font la grimace, nous cachons mal le stress du timing que le visa nous impose, le temps se gâte un peu et il nous faut malheureusement quitter le Baïkal : son eau douce à profusion, ses bivouacs magiques, ses vagues, et son vent endiablé. Il nous vaudra l’ensablement de la tente en pleine nuit ! L’impression de l’avoir à peine découvert qu’il nous faut déjà lui dire adieu. « Tu crois qu’on le reverra un jour ? » « non… et toi ? » « En hiver j’espère ».
Benoît s’est mis au cyrillique, ce qui nous permet de déchiffrer et d’échanger quelques mots avec les curieux qui nous accostent. Nous passons notre temps à répondre aux mêmes questions : « atkouda ? » « France » « Kuda? » « Mongolia »… J’en rêve la nuit.
Le col qui nous permettra d’accéder à Ulan Ude finira de nous achever. Nous l’avons pourtant anticipé et décidons de dormir à ses pieds, mais nous ne l’imaginions pas si durs. 10 kms de bonnes côtes, avec des pentes allant de 4 à 11%, nous pousserons une partie de la montée, en sueur, aux côtés des klaxons russes devenus habitude, des chauffards qui nous frôlent, des camions de bois… et tous les deux virages on croira au bouquet final ! Nous arriverons tout de même au col en pédalant ! « Tu crois qu’ils ont des Ventas eux aussi en haut de leur col ? » Et bien oui, une petite bicoque de bois nous propose à notre arrivée un barbecue, nous nous contenterons d’une bière pour fêter notre premier col à 1200 mètres. On se couvre comme il se doit par ce temps frais pour la descente mais oh surprise, ce n’était pas le vrai bouquet final, il reste une bonne côte à 9%… allez on se re-déshabille et on pousse !
On nous offrira deux magnifiques pomme de pin « Merci c’est gentil mais pourquoi ? » « Laisse tomber ça doit être des portes bonheurs, allez pousse ! ». Rebelote en haut du col. Pour nous tout est devenu chamanique depuis quelques jours. Alors on remercie et propose de les mettre au pied de l’autel, présent en haut de chaque col – sûrement pour se porter chance dans la descente – aux côtés des autres offrandes. Notre donneur rigolera et nous expliquera que c’est simplement pour manger les pignons ! Élémentaire… le mystique nous monte à la tête !
A Ulan Ude nous ne savons définitivement plus dans quel pays sommes nous. Les temples bouddhistes sont apparus, le chamanisme est toujours très présent, les églises orthodoxes tentent de persister, les visages sont clairement typés asiatiques même si les têtes blondes aux yeux clairs restent. Nous passerons la nuit à l’auberge de jeunesse U-City pour moins de 1000 roubles histoire de se décrasser, enlever le sable de toutes nos affaires, faire des machines à laver, skyper nos familles et préparer la suite. Nous ne ferons que traverser la ville mais nous arrêterons tout de même sur la place principale admirer l’énorme tête de Lénine. Si chaque ville russe digne de ce nom dispose d’une statue de Lénine, Ulan Ude a le mérite d’y avoir sa grosse tête ! Nous quitterons la ville sous un tonnerre de Klaxon, nous nous serions cru à un mariage !
Normalement nous avons fait le plus dur et le plus long du parcours et prenons le temps d’aller visiter notre premier temple bouddhiste : Ivolginskiy Datsan, que nous recommandons chaudement, même si Virginie grommèlera de devoir se couvrir pour le visiter. Nous y rencontrerons Pia et Martin des allemands en congés sabbatiques qui voyagent avec une remorque, comme nous, mais tiré par un 4×4 ! Végétariens, comme tous les allemands voyageurs que nous rencontrons, ils nous mettent en garde sur la gastronomie carnée des mongols et nous filent les bonnes adresses des « restau végé » en capitale. Nous apprécierons cette visite à leur côté et regrettons que nos chemins prennent des sens opposés.
Nous serions bien restés davantage dans cette ambiance apaisante et ces temples indescriptibles aux milles et une couleur, mais de belles côtes nous attendent encore, il nous faut avancer. Tic tac, tic tac, tic tac.
Le soir nous trouverons un joli lac au bord duquel bivouaquer. L’arrivée est paradisiaque mais nous tomberons vite en enfer : des escadrons de moustiques nous chargent alors que nous sommes encore sur le vélo à 15km/h. C’est la panique, mais ce n’est qu’un mauvais moment à passer n’est ce pas ? Nous plongeons dans le lac et tentons de trouver une solution que nous ne trouverons pas. Si notre corps est à l’abri, notre tête est dans un nuage de moustique ! Benoît sort le premier à toute vitesse et tentera de s’habiller entre deux sauts de biche et en se fouettant. Nous couvrons chaque partie de notre corps en multiples couches. Il doit encore faire 20°C, et en 5 min nous sommes à nouveau en sueur. On décide de repartir le plus vite possible de ce lieu maudit mais dans la panique Virginie oubli notre gilet jaune de sécurité. Allez hop rebelote, on y retourne. On finira par balancer la tente qui nous fait office de moustiquaire, jeter toutes les affaires dedans de manière ingénieuse pour éviter de faire rentrer la colonie, et passerons la soirée en cage à petit déjeuner plutôt que dîner. Choqués du moustique de Sibérie, nous profiterons tout de même de la vue et d’un magnifique ciel étoilé.
Mais le lendemain, ils sont toujours là, à nous attendre, affamés. Et nous découvrirons avec angoisse que ce n’est pas le lac le problème, c’est toute la région ! Le vent et la fraîcheur du Baïkal nous manque… nous repasserons un deuxième bivouac dans les mêmes conditions, mais en nous organisant mieux, nous le vivrons plus facilement, et un troupeau de jeunes taureaux viendra nous changer les idées.
Nous avons définitivement pris la grosse tête : nous ne répondons même plus aux trop nombreux Klaxons d’encouragement qui nous exaspèrent et cassent les tympans. A part cela nous ne nous croyons décidément plus en Russie. Le dernier soir, la pluie nous a rejoint, nous sommes mouillés, refroidit, tout boueux, et toujours courtisés par les moustiques. Nous forçons alors le destin. A défaut de pouvoir être hébergé au flambant neuf orphelinat, où la serviabilité de jeunes enfants aux visages beaucoup trop marqués par la vie nous touchera, nous échouons chez une famille bouriate. Nous passerons une soirée extraordinaire chez Sergueï et Dadi. De la cour toute boueuse initialement prévue, nous camperons finalement dans leur salon (ils iront même jusqu’à nous proposer leur lit). Nous dînerons à leur table, et passerons une bonne partie du temps à discuter et regarder des vidéos youtube sur leur région. Alors que nous trimbalons notre petit album photo version années 90, eux sont à l’air du numérique et nous font défiler moultes photos sur les derniers Smartphones à la mode. Nous utilisons pour la première fois notre petit guide g’palémo (merci Mélanie), notre globe terrestre gonflable, et usons sans modération de l’application google traduction (merci les copains voyageurs).
Le lendemain, c’est plein d’émotion que nous quitterons cette incroyable famille au cœur sur la main. Comme nous, ils ont dû se dire que la vie était décidément pleine de surprise. Sergueï nous accompagnera jusqu’à la route principale sur sa 125.
Nous étions rentrés en Russie la boule au ventre, nous en repartirons un mois après le cœur serré.
Il est 12h30, nous sommes à la frontière – pourquoi nous stressions déjà ? – nous n’attendons que 5 min, et là « niet » « no pasaran ». Le douanier confirme ce que nous avait signalé un sud coréen croisé sur la route, nous ne pouvons passer à vélo. Par chance, moyennant 350 roubles, nous embarquons à bord d’un petit fourgon Kia qui nous emmènera jusque de l’autre côté. Tout se passera très bien et relativement rapidement, si ce n’est qu’il nous aura fallu faire une confiance aveugle à notre chauffeur mongol le temps de faire nos papiers d’entrée.
Youhouuuu à nous la Mongolie !!!
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Une nuit en Sibérie, c’est quoi ? (Réalisé sans vodka)