TASMANIE : son vent, son soleil, ses touristes et ses animaux morts…

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Notre campervan vendu, nous revoilà donc d’authentiques cyclistes : non d’un diable, en avant pour la Tasmanie !

Je ne sais pas ce que ça vous évoque à vous, mais pour nous ce serait des images de nature sauvage, du vert, des forêts, des montagnes, des grands espaces sans personne, du froid ou de l’embrun. Et avec ces images naissait aussi une petite angoisse de reprendre le vélo, pas vrai Vivi ? C’est fou comment les sensations de voyage à vélo ne se perdent pas ; on dit que faire du vélo ça ne s’oublie pas et bien pour le voyage à vélo ça marche à peu près pareil, tout revient très vite au détail de la douche froide qui elle ne s’apprend jamais vraiment complètement. Faire ses sacoches, faire le plein de denrées sèches en prévision de ne pas trouver de bio facilement sur notre tracé, atteler la remorque, remettre les chaussures ou remplir les gourdes, c’est comme si nous reprenions le voyage à vélo là ou nous l’avions laissé. Ah oui, j’ai oublié de dire que nous avons des jambes de moineaux et comme on dit « ça risque de piquer… ». Nous faisons nos meilleures salutations à Suzanna. Elle nous accompagne jusqu’au ferry. C’est tout de même parfois un privilège immense d’être cycliste comme par exemple doubler toute la queue de voiture avec toutes les félicitations du staff : « good set up mates ! ». La traversée sur le « Spirit of Tasmania 2 » est un régal. Une mer calme et longue, des oiseaux, des méduses et même quelques dauphins venus nous saluer pour l’occasion.

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Nous voilà arrêtés sur un parking négociant le nombre de kilomètres à parcourir avant de poser le campement. « Si vous cherchez un endroit pour dormir, allez vous mettre derrière cette école, la rentrée scolaire est seulement la semaine prochaine… », nous lance une australienne en vacances-caravaning attendant le bateau pour l’Australie Mainland.

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Le vélo c’est dur quand on tape dedans, et la question du début revient alors en tête comme une obsession : « mais qu’est ce qu’on fou là… ». De bons dénivelés pour commencer et une odeur de charogne presque en continu ne feront qu’attiser ce questionnement. Et puis ce couple de trentenaires, surfs sur le toit, du New South Wales en van vient nous s’arrêter et nous félicite. L’échange nous remet en selle et voilà ti pas qu’un cycliste canadien nous double, lui aussi à cours d’eau. On le redouble dans la descente parce qu’on est plus lourd, il nous rere-double parce qu’on fait plus de pause que lui, on le rerere-double dans la côte parce qu’il faut dire qu’il a un bon petit bidou et on finit par le saluer parce que la faim nous creuse et qu’il est temps de casser la croûte.

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Notre expérience nous aura montré que la Tasmanie en fait, c’est une canicule, un climat très sec (à cette époque de l’année et sur la côte est), une nature sèche, et ce n’est pas qu’un territoire vierge pour amoureux de nature sauvage. Ces dernières années, l’immobilier est en hausse vertigineuse et avec plus de 20% l’année passée ! C’est une bonne preuve de l’engouement que suscite l’île après avoir été un petit paradis calme et naturel. Il faut dire qu’on pédale dans le nord et l’est du territoire et que la partie ouest a l’air d’être mieux préservée. On se connecte pourtant à plusieurs reprises sur des militants et associations dénonçant tous les projets d’exploitation de la forêt ou de projets de mines. La pression immobilière amène aussi son lot de controverses et d’avidité.

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Au passage, nous serons presque contents de payer 27$ notre entrée pour 2 dans le parc national du Freycinet pour 24h. La seule façon de préserver semble le passage par le guichet obligatoire et la présence de Rangers pour être sûr que vous repartiez bien avec vos déchets et que vous marchez bien sur les sentiers. Autre controverse ici ce sont les élevages de saumons. « Je suis 80% pour et 20% contre » nous dira Konrad notre ange gardien nous ayant pris en stop pour échapper au « col de la mort ». Oui, c’est une manne d’emplois importante mais c’est aussi une destruction de l’environnement à terme, sans parler de la qualité du poisson produit. Du saumon bon marché veut aussi dire une alimentation désastreuse écologiquement et pour la santé ainsi qu’une surconcentration imposant l’utilisation d’antibiotiques et autres molécules de synthèse bien sympas. Cette équation (Environnement + Economie + Respect du vivant + Qualité de vie) semble une nouvelle fois de plus être insoluble. Mais au fait, pourrait-on produire moins de saumon et de meilleure qualité, permettant de préserver la santé des consommateurs et assurant des emplois ici ? Et bien oui, mais le consommateur devra la payer plus cher, ou bien … en acheter moins ? La solution nous semble pourtant s’imposer d’elle même… Ce n’est pas l’avis du parti libéral qui fait ici une campagne d’une agressivité qui nous laisse sans voix : « Le parti travailliste et les Verts pensent que vous êtes stupides. Qu’est ce qu’ils vont encore nous sortir ensuite? Ne les laissez pas vous dire ce que vous devez faire ! ». Outre les pancartes dans la rue, ce sont également des spots télé et des grands posters sur de nombreux portails de maison. On sent ici plus qu’ailleurs que les intérêts financiers sont très puissants et que la nature est aussi là pour que les investisseurs puissent se servir.

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On nous raconte que l’île a été un temps un bon candidat pour accueillir les juifs du monde entier et construire ici le projet sioniste. C’est assez fou de penser ce que ça aurait pu donner, économisant probablement bien des souffrances.

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Nous ferons sur ce grand territoire de magnifiques rencontres avec de « vrais personnages » (comme ils disent ici) ! Bruce et Clare, eux, ont acheté un petit lopin de terre il y a plus de 30 ans. Ils ont construit une ferme de maraichage bio livrant sur toute l’île. Ils emploient aujourd’hui 6 personnes et produisent des « vegies » et fleurs de qualité. Ils sont tous les 2 originaires de New-Zélande et nous racontent comment l’intégration a été incroyablement difficile. Merci pour cet accueil improvisé ! C’est aussi dans la ferme quasiment autosuffisante de Roger et Gaie que nous nous sentirons si bien. Animaux, légumes, miel, chauffage au bois, électricité du barrage ou eau de pluie, rien n’est laissé au hasard. « Plovers Barrow » est une ferme de famille que Roger a hérité de son père. Ils ont décidé avec Gaie d’être autosuffisant il y a 10 ans et ils s’en sortent plutôt pas mal. Ils doivent faire une course de sec par mois et vident leurs poubelles 2 fois par an ! « L’effet bénéfique quand tu es presque auto-suffisant c’est que tu n’as besoin de rien et donc que tu n’as pas besoin d’avoir de gros revenus ». Le principal des dépenses passe dans la voiture, internet ou du matériel qu’ils ne peuvent se fabriquer. Pour nous c’est un plaisir d’être avec ces personnes 100% disponibles et non préoccupées par leur activité professionnelle. Nous parlerons des heures durant et recevrons de nombreux conseils. Merci pour cet échange, cette générosité et cette énergie. Nous repartirons avec les papilles en extases et des sacoches remplies de légumes. Merci merci !

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Mais qu’est ce que c’est que ces pancartes « Biosecurity Zone, Trepasser will be persecuted » souvent accrochée à l’entrée des fermes ? Vu d’ici, effectivement ça ne motive pas à entrer, et c’est l’effet voulu ! La Tasmanie est encore un des rares endroit dans le monde à l’abri de certaines contaminations naturelles ou chimiques. Ils ont par exemple la chance de ne pas avoir de varois, le parasite des abeilles. C’est principalement pour cette raison qu’il est difficile de trouver du miel bio en Europe là ou ici c’est la norme. Mais jusqu’à quand ? Nous les premiers, nous n’imaginons pas qu’en amenant des roues de vélo sales ou en jetant une peau de banane nous pouvons contaminer et diffuser un champignon, un parasite ou tout autre petit animal nuisible. L’Australie ne rigole pas avec ça et nous les comprenons, la Tasmanie c’est le cran au dessus.

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Avez-vous une « mamie gâteaux » ? Et bien nous on a en une et elle s’appelle Mamie Mila (Ludmila). C’est ce genre de personne qui parle fort, vous rempli votre verre et votre assiette sans même que vous vous en rendiez compte et vous accueille chez elle les bras ouverts et le frigo aussi. Après l’enfer tasmanien, nous avons trouvé ici un petit paradis. Elle habite à Old Beach, une banlieue de Hobart dans une petite maison avec une vue incroyable sur la baie de la capitale tasmanienne. Nous nous sentons « comme de petits oisillons dans un nid ». Mamie Mila est d’origine polonaise et a peaufiné ses bons petits plats. Ici tout se fête et se célèbre à coup de shoots de vodka. Je ne me souvenais pas que nous ayons autant à fêter ! S’ajoute à cela des desserts crémeux à n’en plus finir et une cuisson au micro-ondes, on ne sait pas si notre estomac résistera longtemps ! Heureusement elle adore aussi les fruits. Impossible de lui donner un coup de main aux fourneaux, elle a à cœur de nous préparer chacun de nos repas végétariens, et nous sert comme des rois ! Incroyable générosité. Mais mamie Mila aime à jurer. Surtout quand elle a un peu trop bu. Elle trouve bien des choses et des gens stupides : « stupid phone » « stupid journalist » « stupid people » « stupid country » et même sa propre famille en prend pour son grade… elle a aussi une grande aversion pour les gens de couleur, et chaque jour nous avons le droit à ses « bloody asian people » « bloody chinese people ». Une personne de peau noire est évidement un Africain selon elle. Elle est persuadée qu’un jour les blancs se retrouveront à vivre dans des réserves et nous la sentons toute agitée. Il est parfois difficile de garder son calme. En discutant nous apprenons que Mila a dû fuir la Pologne avec son mari et ses deux enfants il y a plus de 35 ans, elle s’est retrouvée immigrée durant 2 années en Italie, et a eu une vie aussi remplie que difficile. Des mamies Mila nous en avons rencontré d’autres sur notre parcours… des personnes adorables, généreuses, le cœur sur la main, parce que nous avions la peau blanche. Est-ce que cette générosité a moins de valeur ? Est-ce que leur racisme en est moins grave ?

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Hobart c’est aussi son musée d’art moderne « Mona« . C’est un musée qui fait polémique ici et à l’international parce qu’avec ce qui est exposé, on se demande parfois si c’est vraiment de l’art. Cet Art a aussi une autre saveur quand on sait que le propriétaire est un homme d’affaire multimilliardaire et qui a fait ses débuts de fortune dans les paris et jeux. Les foules se ruent littéralement ici pour voir cette machine à faire des crottes, ce tatouage sur cet homme, ces moules de plâtre de sexe féminin, etc.

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Hobart marquera le point extrême sud de notre périple. C’est un peu un cap atteint, une étoile que l’on suit de nombreux mois et qu’on est tout surpris d’atteindre déjà. Nous avions prévu de faire la transition avec une retraite VIPASSANNA. Cela signifie « voir les choses telles qu’elles sont réellement ». C’est une des plus anciennes techniques de méditation de l’Inde. Elle a été enseignée en Inde il y a plus de 2500 ans comme un remède universel destiné à soigner les maux universels, un Art de Vivre. La technique de Méditation Vipassana est enseignée lors de cours résidentiels de 10 jours pendant lesquels les participants apprennent les bases de la méthode, et pratiquent suffisamment pour faire l’expérience de ses résultats bénéfiques. Le centre de Tasmanie est l’un des nombreux existant dans le monde consacré à la pratique. Il en existe un en France et quelques autres en Europe. Bon la méditation, nous savions déjà un peu à quoi nous attendre mais nous angoissions plutôt sur le « noble silence ». C’est l’interdiction de communiquer avec les autres étudiants, communication non verbale y compris : pas de contact des yeux ou pas de politesse. Extrait de mail à la sortie : « Les mots sont difficiles à trouver pour exprimer ce que nous avons expérimenté là-bas. C’est un peu à l’image de ces 2 dernières années, ce fut très intense, inattendu, incroyable, insupportable, parfois cela nous a poussé dans nos derniers retranchements et nous avons tous les deux fait un grand voyage intérieur et finalement relativement différent. Pour moi, l’absence de communication a été, contrairement à ce que je pensais avant, d’une grande aide. C’est par certains aspects difficile d’atterrir d’autant plus que la suite s’annonce haute en émotion ».

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La Tasmanie sonne pour nous la fin d’une phase de vie et c’est le moment de passer au chapitre d’après. Nous avons la tête entre les 2 continents, la tête dans les cartons et c’est un peu difficile d’être dans le moment présent. Pourtant qu’est-ce qu’il est difficile de réaliser ce que nous vivons, et ce qui nous attend ! Oui ce retour nous agite pas mal avec la ribambelle de questions qui va avec. Nous nous préparons à vivre un décalage sans trop savoir à quoi nous attendre. Nous savons que tout est impermanent et que nous aurons beaucoup changé. Nous savons que le ré-attelage posera son lot de questions et s’accompagnera de son cortège de sensations bonnes ou mauvaises.

Toujours est-il que de notre côté aussi l’excitation commence à monter : on rentre !

3 commentaires

  1. Merci pour cette belle expérience humaine permise par le voyage. J’ai souvent écrit à propos de l’enrichissement personnel lié au voyage (pour Ulysse petit journal d’AFS Poitou-Charentes). Vous en êtes une belle illustration. Tous mes encouragements pour LE RETOUR.
    A bientôt, j’espère. Amitiés.
    Francis

  2. Bonjour Virginie, bonjour Benoît,
    Quel plaisir de vous lire à nouveau !
    Vous voilà repartis vers de nouvelles aventures au bout du monde, c’est super.
    Nous limitons toujours nos escapades à vélo dans l’hexagonal le plus souvent mais il y a eu Londres et Amsterdam.
    Portez vous bien, nous gardons un souvenir ému de notre rencontre.
    Beatrice et Denis (WS que vous avez accueillis)

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